El quadern gris : un taller d’escriptura – Le cahier gris : un atelier d’écriture
Josep Pla a revu et corrigé le manuscrit de El quadern gris tout au long de sa vie. Ces courts extraits illustrent les trois phases d’élaboration qui ont précédé le texte tel que nous le connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire le premier manuscrit, le manuscrit original du livre et la version publiée sous forme de livre.
Les ratures portées de façon systématique sur le premier manuscrit témoignent de la volonté délibérée de l’auteur d’utiliser tous les passages dans la version définitive, et les dates dans la marge du haut montrent comment Josep Pla transforme son journal en fiction, en suivant toujours de très près le calendrier des années 1918 et 1919 afin de pouvoir rédiger son livre.
En comparant les textes, on peut voir qu’il y a une véritable évolution du style qui consiste, notamment, à supprimer certaines références à sa vie intime, à développer les descriptions et surtout, à donner une portée littéraire à des idées qui, dans le premier manuscrit, ne sont que de simples schémas. On peut constater qu’il conserve généralement les images initiales, mais le travail linguistique lui permet de mieux construire sa phrase, de l’organiser en fonction de sa signification et de forger les séries adjectivales si caractéristiques de son art de la description.
« Objectivement, il est fortement désagréable de ne pas ressentir de désir – ni le désir des femmes, ni celle de la bonne chère, ni celle de devenir quelqu’un dans la vie-, d’éprouver seulement cette secrète et diabolique manie d’écrire (avec de si modestes résultats), à laquelle j’ai tout sacrifié et à laquelle je sacrifierai probablement toute ma vie. Je me demande ce qui est préférable : une existence médiocre, joyeuse et convenu ou une obsession de ce genre, passionnée, tendue et fascinante ? »
Josep Pla. Le Cahier Gris. París : Éd. Gallimard, 2013, p. 384
El quadern gris, premier volume de l’Obra Completa
El quadern gris, premier volume de l’Obra Completa de Editorial Destino, est une des œuvres incontournables de la littérature catalane du XXe siècle. L’écrivain a toujours présenté cette œuvre comme s’il s’agissait véritablement de son journal de jeunesse, comme s’il l’avait réellement entièrement écrit pendant les années 1918-1919 et comme s’il l’avait publié pour la première fois en 1966. Le thème central est l’arrivée angoissante d’un jeune écrivain dans le monde des adultes et sa lente prise de conscience du métier d’écrivain.
El quadern gris commence par la présentation de la situation dans laquelle se trouve le protagoniste : le 8 mars 1918, jour de son vingt et unième anniversaire, il est à Palafrugell et vient de quitter Barcelone à cause de l’épidémie de grippe. Cette façon de commencer le livre lui permet de faire aussitôt le bilan de sa vie et de se mettre à écrire en développant une véritable obsession : le paysage de l’Ampourdan qui devient le véritable défi narratif, descriptif et stylistique du tout jeune écrivain.
Constamment angoissé, tourmenté par l’obsession de l’écriture, il lui faut terminer ses études afin d’accéder à un minimum de stabilité financière et affronter la réalité et la vie dans toute sa vérité. En janvier 1919, il s’installe de nouveau à Barcelone et, peu à peu, grâce à sa rage de lire et à son entrée dans le monde du journalisme, il parvient à prendre pleinement conscience de sa vocation d’écrivain.
À la fin du livre, le protagoniste aura terminé ses études d’avocat avec succès, il entrera dans le monde du journalisme et sera nommé correspondant de presse à Paris ; il continuera d’écrire et acquerra le style littéraire qui, grâce aux conseils de son ami Alexandre Plana, lui permettra de commencer à écrire son journal, journal que le lecteur a entre les mains, El quadern gris.
Le manuscrit de El quadern gris
Après avoir rédigé le premier journal, Josep Pla y a retravaillé plusieurs fois tout au long de sa vie. Dans les années vingt, il a refait quelques paragraphes, a ajouté et supprimé des passages, a incorporé (en les coupant et en les collant) des articles qu’il publiait dans la presse. À partir des années quarante, lorsqu’il s’est réinstallé en Ampourdan, Pla a très probablement commencé une rédaction complète de son livre qui s’est alors considérablement étoffé.
Dans les années cinquante et soixante, Pla devait déjà penser le publier, et il a donc commencé à le structurer en un livre de deux volumes (le premier pour l’année 1918, le second pour 1919), en travaillant avec le premier cahier devant lui, prenant soin d’éliminer certaines références à sa vie intime ou d’autres aspects de la vie quotidienne qui cassaient l’image générale que le protagoniste du livre voulait donner de lui-même.
Dans la phase finale de la rédaction, au début des années soixante, Pla devait continuer à réélaborer son manuscrit et à lui donner une portée littéraire, barrant avec obsession les passages qu’il réutilisait pour la version définitive. De plus, il introduisit une nouveauté puisqu’il décida d’y inclure des récits, des descriptions et des portraits qu’il avait déjà publiés dans d’autres livres.
El quadern gris original
Le premier journal des années 1918 et 1919 est présenté pour la première fois au public en 1997, pendant la célébration du centenaire de la naissance de Josep Pla. Ce manuscrit est une pièce unique de la bibliographie catalane contemporaine, et son étude comparative avec la version publiée sous forme de livre en 1966 donne de nouvelles clés permettant de mieux comprendre comment Pla travaillait ses manuscrits.
Le manuscrit original de El quadern gris est effectivement un journal, sans titre, qui occupe un cahier de cent pages et dont la couverture est grise. Une courte suite est écrite dans un cahier identique mais dont la couverture est rouge. Le journal est écrit tantôt au crayon tantôt à la plume. La calligraphie légèrement arrondie avec des lignes très espacées contraste avec la calligraphie pointue et serrée (qui occupe toute la place de chaque feuillet) de la version publiée sous forme de livre en 1966.